Lettre à un ami :
« In cha’Allah ! »

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Mon cher ami,

J’ai passé une grande partie de ma vie professionnelle, de 1960 à 1980, à travailler avec les pays du sud de la Méditerranée, au Maghreb (à l’ouest) comme au Mashreq (à l’est). Je ne compte plus les voyages que j’ai faits au Maroc, à Alger, à Tunis, à Tripoli, au Caire, à Beyrouth et à Damas! Que de noms et de visages de vieux amis me sont revenus alors que je regardais les nouvelles du « Printemps arabe » à la télévision ! Et je me disais sans cesse : « Enfin ! »

J’aime à penser qu’une telle évolution a été rendue possible par Internet et par les réseaux sociaux, et donc grâce à nos câbles ! Le lien est clair entre ces « révolutions » et l’émergence de l’accès à Internet et à la téléphonie mobile dans ces pays. Ces technologies sont en train de donner forme à un monde nouveau ! Je prédis pour ma part que les câbles que nous sommes en train de poser autour de l’Afrique susciteront également des changements substantiels. Lesquels exactement, je n’en suis pas sûr, mais ils étonneront le monde entier.

Si ASN est actuellement un fournisseur de systèmes sous- marins de premier plan, c’est en grande partie grâce aux pays et aux peuples méditerranéens. Lorsque, jeune ingénieur, je me suis lancé dans cette branche d’activité en 1961, mon premier emploi à Calais consistait à travailler sur la fabrication du câble Perpignan-Oran. Le câble Marseille-Alger a été installé en 1957, peu de temps après un câble expérimental de courte portée en Tunisie (Kelibia-Bou Ficha). C’étaient nos premiers câbles à répéteurs, avec 60 circuits ! Ces circuits étaient utilisés par le gouvernement, mais aussi par ceux qui se battaient pour leur indépendance puisqu’il s’agissait de « systèmes domestiques », l’Algérie n’étant devenue indépendante qu’en 1962 (alors que la Tunisie et le Maroc l’étaient depuis 1956).

Le tout premier câble Marseille-Alger était un câble télégraphique posé en 1871 ! Lors de la déclaration de guerre en 1939, il y avait 10 câbles Marseille-Maghreb en service ! Le navire câblier “Arago” passa la guerre à Oran et à Alger pour protéger ces câbles, qui ont joué un rôle important : les noms de Mers el-Kébir en Algérie, Tobrouk en Libye et El Alamein en Egypte sont bien connus ! La bataille dans le désert autour d’El Alamein a été un tournant dans la guerre. Comme l’a plus tard déclaré Churchill : « Nous n’avons remporté aucune victoire avant El Alamein, ni connu aucune défaite après ».

Pendant le temps que j’ai passé à Calais, nous avons fabriqué les systèmes France-Maroc (1967), Marseille- Tel Aviv (1968), Marseille-Bizerte (1969), Marseille- Beyrouth (1970), Beyrouth-Alexandrie (1972), Marseille-Alger 2 (1972), Penmarc’h-Casablanca (1973) et Perpignan-Bizerte (1975).

L’une de mes premières tâches lorsque je suis devenu responsable de Submarcom en 1977 a été de m’y rendre afin de mener les négociations sur les systèmes Marseille- Tripoli (Libye), et Syrie-Grèce. Toute une expérience pour un petit jeune de 40 ans !

J’ai été très surpris de constater (entre autre sujets d’étonnement) combien de fois, lors de nos discussions, revenait l’expression « In cha Allah » chez ces gens si compétents et instruits. Je devais apprendre que dans leur culture, on ne dit jamais « Je le ferai demain sans faute » sans ajouter « Si Dieu le veut », qui n’est après tout pas si différent de notre « Grâce à Dieu » en Français, ou de « Thank God » en anglais. J’ai été plus dérouté de découvrir que le langage allégorique que le Christ utilisait dans les évangiles était en fait celui de tout le monde au Moyen-Orient. C’est mon agent local à Damas, un arabe non-musulman, qui me l’a expliqué un jour qu’il m’emmenait à un monastère dans les montagnes de Syrie. Il était né en Anatolie, comme St Paul, qui s’était converti sur son chemin de Damas. Le représentant de Submarcom au Caire était un vieux monsieur très cultivé de la communauté copte orthodoxe. Chaque fois que j’allais au Caire, il m’emmenait au vieux bâtiment Arento (PTT), où il embrassait toutes les secrétaires en disant « Allah est grand !». Faites-moi confiance, n’allez jamais là-bas en croyant que tout est simple !

Ces mêmes pays ont plus récemment saisi l’occasion de se connecter aux nombreux câbles reliant l’Europe à l’Asie, allant dans certains cas jusqu’à développer leur propres plans, comme TE North (Telecom Egypt) par exemple.

Notons que pour le moment, le trafic entre ces pays est très réduit. On parle sans arrêt du « Monde Arabe », mais les relations entre les différents états restent très limitées. La frontière entre le Maroc et l’Algérie est quasiment fermée en raison du conflit au Sahara Occidental. Le commerce entre la Tunisie et l’Algérie se fait indirectement via Marseille. Ceci est encore plus vrai de la Libye et de ses voisins.

Espérons donc, mon ami, que les « bouleversements » actuels mèneront à de meilleures solutions et à une évolution plus encourageante, et que les câbles sous-marins auront un rôle encore plus important à jouer dans un avenir proche. Pourquoi ne pas envisager la construction d’un feston, long et dense, une autoroute du Maghreb au Mashreq, de Maroc à Alexandrie, au Liban et en Syrie ? Et allons jusqu’à rêver qu’Israël et la Palestine pourraient s’y raccorder tous les deux !

Inch’ Allah !


Jean Devos
Submarcom Consulting
AQEST Senior Advisor


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